Interview de Sylvain Teissier photographe hospitalier

Depuis longtemps je voulais proposer sur Pyrros.fr de interview de photographes. Aujourd'hui nous commençons donc avec Sylvain Teissier un photographe avec une approche surprenante

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Je m’appelle Sylvain Teissier, j’ai 34 ans et je suis originaire du Sud de la France où je vis toujours avec ma femme et mon fils. Je suis Photographe spécialisé dans le monde du médical et de la santé puisque je suis depuis 11 ans photographe hospitalier au CHU de Nice. C’est d’ailleurs dans ce domaine précis que j’aimerai orienter tes questions, pour montrer que la photo professionnelle n’est pas uniquement de la photo de mariage (que j’aime beaucoup) ou du portrait mais qu’elle peut prendre forme dans des endroits insolites comme par exemple un hôpital universitaire.

Sylvain Teissier photographe en milieu hospitalier
Sylvain Teissier photographe en milieu hospitalier (photo : Sylvain Teissier)

Comment as-tu commencé la photo ?

Après le bac j’étais perdu ; j’ai fait deux ans de fac de maths-informatique par manque de vocation (et de bons résultats scolaires qui m’ont fermé pas mal de portes) et en parallèle j’ai commencé à réaliser des courts-métrages avec les copains. J’ai toujours aimé le cinéma, les effets-spéciaux et j’ai trouvé là un formidable moyen d’expression. Après la fac j’ai intégré le tout jeune BTS Audiovisuel de Cannes, option image. Avant de toucher aux caméras et aux notions vidéos, nous avons passé plusieurs semaines à apprendre les notions fondamentales de la photographie ; lumière, ouverture, sensibilité… c’était fascinant mais très vite nous sommes passé aux 25 images par secondes et je n’ai plus fait de photo pendant 2 ans. C’est après mes études d’audiovisuel en étant recruté à l’hôpital comme photographe en blocs opératoires que j’ai du tout réapprendre.

Comment as-tu appris la photographie ?

Sur le terrain, d’abord avec un bridge numérique, quelques mois plus tard avec un reflex numérique (le Nikon D70, quelqu’un s’en souvient ?). Il n’existait pas en 2005 des sites internet de qualité comme maintenant où il devient très facile d’apprendre les bases de la photo donc je tâtonnais, sans jamais penser qu’un club ou une association aurait pu m’aider à progresser plus rapidement. Et puis il n’y a pas que la prise de vue, en numérique, l’outil informatique est très important et je me formais à Photoshop avec des livres et des tutoriels dans les magazines. En photo la formation est continue, je continue d’apprendre en faisant des photos, en suivant le travail d’autres photographes…

Quel est ton approche actuelle de la photo ?

Je vais parler de la photo que je connais le mieux, la photographie médicale à vocation scientifique et pédagogique. C’est très particulier, habituellement un photographe sublime son sujet alors que je dois être le plus proche de la « vérité » dans le résultat de ma prise de vue.  Je dois réaliser en studio ou au bloc opératoire des images objectives de toutes sortes : plaies ou blessures, maladies de la peau, malformation, disgrâce esthétique. Ces photos sont utiles pour illustrer des articles scientifiques, des documents de recherche et pour servir de support de formation. Une partie importante de mon travail consiste à produire des images médico-légales avant et après l’intervention pour la chirurgie réparatrice et esthétique avec une contrainte de répétabilité. Il n’y a donc aucune place pour la créativité ! C’est pourquoi j’ai toujours profité du temps passé en salle d’opération pour faire des photos des équipes en action et c’est comme ça que je construis un travail plus personnel et où je peux laisser exprimer ma créativité et mes émotions. À cause de la lumière du scialytique, la salle d’opération est baignée dans une atmosphère particulière, presque cinématographique. En photo, l’exposition calée sur la luminosité du scialytique, la puissance extrême de ces lampes plonge tout ce qui n’est pas éclairé dans la pénombre et ce contraste permet des compositions très intéressantes. Ces photos-là sont pour moi un bon moyen d’exprimer ma vision du métier de chirurgien et la tension ambiante qui est plus ou moins palpable selon le type d’intervention.

(Photo : Sylvain Teissier)
(Photo : Sylvain Teissier)

Quelles sont tes sources d’inspirations ?

Je ne m’inspire pas directement du travail d’un ou de plusieurs photographes quand je shoote ou alors d’une manière inconsciente. Je découvre tous les jours de nouveaux photographes sur internet et je remarque qu’il existe des milliers et des milliers de photos remarquables. J’ai toutefois une préférence pour la photo humaniste. Marc Riboud, qui nous a quitté il y a peu de temps est un parfait représentant de ce que j’aime. J’adore aussi le travail de Sebastiao Salgado et j’en profite pour dire que son film Le Sel de la Terre est magnifique et que tout le monde doit le regarder, pas que les photographes. Sa vision de l’humanité est saisissante et ses images sont incroyables.

Aujourd’hui as-tu envie de découvrir d’autres domaines liés à la photographie ? Qu’est ce qui t’empêche d’essayer ?

C’est justement la photo de rue que j’aimerai essayer ; déambuler dans la ville et capter des moments insolites ou drôles. Je ne sais pas quand mais je vais m’y mettre !

Comment définis-tu ton statut et pourquoi ?

Toute la journée (dans mon cas exactement 7h42min) je fais des photos au contact de personnes incroyables (chirurgiens mais aussi patients) et je rentre chez moi profiter de ma famille sans penser si un tel ou un tel a réglé ma facture ou si demain je vais avoir du boulot… je pense sincèrement être privilégié même si parfois je vois beaucoup d’horreurs et que ce n’est pas toujours simple humainement de supporter tout ça. Faut compenser, apprécier les petits bonheurs de la vie et se dire que j’apporte ma très modeste contribution dans l’aide apportée aux patients.

(Photo : Sylvain Teissier)
(Photo : Sylvain Teissier)

Quel est ton matériel et pourquoi ?

Au quotidien j’utilise deux boitiers Nikon. Un vieux mais increvable Nikon D300 et un plus récent Nikon D600, qui malgré sa réputation est un excellent boitier plein format. Selon l’image à réaliser j’ai à ma disposition plusieurs objectifs : un Tamron 24-70 VR f/2,8 pour le tout-venant, un Nikkor 50 f/1,4 et un Nikkor 85 f/1,8 pour les portraits et l’indispensable Nikkor 105 macro VR f/2,8 pour les détails. En « reportage » au bloc opératoire ou en salle de pansement j’utilise des flashs Nikon SB900, SB700 ou un flash annulaire Sigma. Dans mon studio, je travaille avec des flashs Elinchrom D-Lite RX4 pour la photo et de la lumière continue en fluo, lumière du jour pour la vidéo ; je n’ai pas précisé plus tôt mais la vidéo fait aussi partie de mon activité.

Quel est ton « flux de production » ?  De l’idée à la diffusion de la photo

Dans ma production quotidienne de photos médicales le flux est simplissime. L’équipe soignante m’appelle, je me rends au bloc / au pansement / au studio, je fais mes images. Avant la fin de la journée je vide mes cartes et je les classe sur mon mac. Les photos sont classées par pathologies, ensuite par nom prénom et enfin par date. Tout est sauvegardé en 2 exemplaires sur disque dur externe + une sauvegarde sur une time capsule. Les images médico-légales ne sont pas retouchées donc je ne fais que du JPG Fine. Pour ma production plus personnelle (qui sert aussi à la communication des services et de l’hôpital) j’utilise Lightroom pour le classement et l’editing. Enfin je diffuse mon best of sur mon site internet.

Où montres tu tes photos et pourquoi ces choix ?

Les photos médico-légales sont à la disposition de l’équipe médicale et n’ont pas vocation à être diffusées. Ce sont des données médicales et la confidentialité doit être garantie. Cependant elles peuvent être utilisées comme dit plus tôt pour des études et le consentement du patient (si il est reconnaissable) est indispensable.

Les photos plus généralistes sur la vie du bloc opératoire par exemple peuvent servir d’illustration pour la communication interne ou externe de l’hôpital. Et j’ai créé il y a deux ans mon site perso où je montre quelques images plus artistiques. En parallèle j’alimente mon compte Instagram et Twitter de ces images et de quelques instantanés de vie.

(Photo : Sylvain Teissier)
(Photo : Sylvain Teissier)

Quels sont tes meilleurs et pires souvenirs photographiques ?

Mon meilleur souvenir c’est quand j’ai commencé à montrer mes photos du bloc aux chirurgiens eux-mêmes et qu’ils ont vraiment adoré. C’était une bonne motivation pour continuer.

Mon pire souvenir… c’est vraiment glauque, c’est quand je me suis retrouvé à photographier des dissections au laboratoire d’anatomie de la Faculté de Médecine alors que je n’avais que quelques mois de métier. Je me suis perdu et j’ai atterri dans la chambre des frigos où un technicien préparait une dizaine de têtes humaines pour un cours d’anatomie de la face. On se serait cru dans une scène de film d’horreur.

Tu illustres cet interview avec plusieurs photos, pourquoi celles ci ? Raconte-nous leurs histoires

Ces images ont toutes un point commun : outre le fait que ce sont toutes des instantanés d’interventions chirurgicales, elles mettent en avant la grande concentration des chirurgiens et de leurs assistants. Le traitement de ces images en noir et blanc accentue selon moi le côté dramatique et le sentiment d’urgence. J’aime quand une image raconte une histoire et quand le photographe utilise le hors-champ pour laisser le spectateur imaginer ce qui s’y trouve. J’essaye à mon tour de jouer avec ces éléments pour produire des images intéressantes.

As-tu un conseil pour les photographes qui lisent ce billet ?

Je n’en ai pas beaucoup parlé mais au bout de la jambe, du bras que je dois photographier il y a un humain en souffrance. Je ne suis pas toujours bien vu avec mon appareil photo alors j’ai dû non pas développer des techniques de paparazzi mais au contraire apprendre l’empathie et savoir écouter, avoir quelques mots de réconfort. Ce sont des qualités très utiles pour un photographe. Enfin pour réussir dans ce métier il faut se remettre en question sans cesse et acquérir une bonne technique photographique.

(Photo : Sylvain Teissier)
(Photo : Sylvain Teissier)

Quel autre photographe francophone devrait être interviewé prochainement ?

Laurent Baheux, photographe animalier.

8 COMMENTAIRES

  1. Très intéressant ! Je ne pensais pas qu’on pouvait être photographe hospitalier “exclusif” ! Je compatis concernant son “pire souvenir” pour avoir vécu qq chose d’un peu similaire 🙂

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