Interview de Pablo Tupin photojournaliste

Quelques heures avant le bac Pablo Tupin, jeune photographe toulousains nous parle de son expérience. Il évoque avec nous les problèmes que peut rencontrer un photographe photojournaliste en devenir.

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Je m’appelle Pablo Tupin, je commence à travailler dans le photojournalisme, que je pratique sur le terrain depuis bientôt 3 ans. J’aurai 18 ans dans quelques semaines. Je vis à Toulouse, ville ou j’étudie et je photographie. Habitué de la photographie de manifestations, je me retrouve bien souvent au milieu des gaz lacrymogènes.

Pablo Tupin en action lors d'un reportage
Pablo Tupin en action lors d’un reportage

Pablo Tupin, comment as-tu commencé la photo ?

La photo est une passion depuis très jeune néanmoins si par commencer la photo tu entends commencer à penser la photo en tant que métier et entrer dans la photographie de presse je dirais il y a 3 ans, d’abord, en découvrant qu’une association dans laquelle j’étais disposait d’un service photo et en les accompagnants sur plusieurs événements et ensuite par le biais du service photo du Webzine Aparté.com, avant de commencer à collaborer avec de plus grands médias.

Comment as-tu appris la photographie ?

Du fait de mon jeune âge je ne dispose pas de formation institutionnelle de photographe, j’ai commencé à apprendre la photo d’abord en tant qu’autodidacte en associant visionnage de cours sur internet et application de terrain et ensuite directement aux côtés de professionnels qui m’ont grandement aidés dans mon apprentissage, notamment et surtout Kevin Figuier et auprès de différents collègues pour lesquels j’ai beaucoup de respect et d’affection.

Aujourd’hui sur le terrain et auprès de mes confrères je continue a apprendre d’avantage tous les jours.

Quel est ton approche actuelle de la photo ?

Actuellement je travaille sur du reportage de presse pur et dur, manifestations, social, politique, peu de culturel. J’essaie au travers de mes images de non seulement raconter une histoire mais également réussir à montrer ce qui ne se voit pas au premier abord et ce qui ne se sait pas, ainsi si mes images prêtent à sourire ou a débat, je suis satisfait de la prise de vue.

Je tente de capturer des images claires mais vivantes qui interpellent et provoquent une réaction chez celui qui les regarde.

Arrestation d’une manifestante de 17-ans par la Brigade Anti-Criminalité. Accusée-d’avoir lancé une canette sur les forces de police la lycéenne a été-tirée-sur plusieurs mètres
Arrestation d’une manifestante de 17-ans par la Brigade Anti-Criminalité. Accusée-d’avoir lancé une canette sur les forces de police la lycéenne a été tirée sur plusieurs mètres (Photo : Pablo Tupin)

 

Aujourd’hui as-tu envie de découvrir d’autres domaines liés à la photographie ? Qu’est ce qui t’empêche d’essayer ?

En réalité je travaille avec le confrère Alain Pitton sur un reportage de long terme dont je ne peux divulguer aujourd’hui la portée, mais en relation avec le ministère de la justice. Ainsi je veux tenter une approche plus documentaire de la photo sociale tout en conservant un certain compromis avec la photo de news.

Rien ne m’empêche pour l’instant d’aller vers d’autres domaines photographiques et j’essaie différentes pratiques de temps à autres. Le rêve de beaucoup de photographes est de réaliser de longs sujets documentaires sur des thématiques qui particulièrement les tiennent à cœur néanmoins ces projets nécessitent énormément de temps et d’argent.

Pour ma part j’essaie pour le moment de trouver des sujets locaux et originaux qui me tiennent à cœur pour de futurs reportages de long terme. Je me complais énormément dans la photo de presse et même si cette activité est très mal rémunérée, l’aime énormément.

Comment définis tu ton statut et pourquoi ?

Je ne saurais définir mon statut car en réalité il est très précaire, je me lance dans la photographie et ne fournis des prestations professionnelles que depuis deux ans ainsi mes contrats avec la presse régionale se font en correspondance locale et la plupart des collaborations que j’ai effectué étaient de petites prestations. J’entre dans le métier et pour l’instant, mon statut n’en est pas un.

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Plusieurs centaines de syndicalistes et de militants de gauche manifestent contre l’usage de l’article 49-3 pour appliquer la loi travail le texte lui même (Photo : Pablo Tupin)

Quel est ton matériel et pourquoi ?

Je dispose d’un Canon EOS 7D, d’un Canon EOS 5d mkIII, d’un Canon 24-70 f/4 et d’un Canon EF 70-200 f/2,8.

Il m’arrive d’utiliser d’autres objectifs prêtés ou loués.

Ces deux boîtiers sont très performants, la rafale du 7d alliée au 70-200 me servent pour les sujets politiques en particulier.

Le 5dIII est mon boîtier de prédilection, très tôt j’en ai eu un entre les mains et j’ai très vite appris à apprécier le plein format, j’ai donc continué sur cette lancée.

Je pense acquérir prochainement un objectif Canon Ef 35 mm f.2, que j’utiliserais pour certains sujets particuliers mais également pour faire des portraits.

Quel est ton « flux de production » ?  De l’idée à la diffusion de la photo

Tout dépend du projet en question, la photo de presse en particulier sur les manifestations se caractérise par la difficulté de construire une image dans une situation de mouvement et de tension continue ainsi le photographe doit pouvoir apercevoir une situation intéressante à montrer construire son image et déclencher dans un laps de temps assez court.

La diffusion doit également se faire de manière assez rapide et donc ne laisse pas le temps à de quelconques retouches photo hormis quelques petites corrections comme sur l’exposition ou le contraste en cas de faille du photographe.

Ces photos sont donc des photos d’instant, naturelles. En reportage longue durée ou sur des sujets plus posés la construction de la photo et la réflexion avant déclenchement peuvent être bien plus poussées, j’ai là plus grand loisir à construire mes images et leurs messages mais toujours en restant sur de la photographie d’instant. Les deux pratiques me semblent intéressantes.

Où montres tu tes photos et pourquoi ces choix ?

Mes photographies de presse sont publiées dans la presse nationale et régionale je collabore notamment avec la SEPR, je diffuse également mes images sur Instagram.

Mes photos ont très souvent, entre autres, une visée informative. J’apprécie quand elles sont publiées de pair avec un article de presse écrit et qu’elles peuvent être appréciées comme un très bref résumé de l’article et poussent à vouloir en savoir d’avantage sur une dite information.

J’aimerais également pouvoir raconter des histoires à travers des séries de photographies publiées également dans les médias. Je travaille actuellement sur ce type de reportages photojournalistiques mais n’ai pas encore pu en publier.

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Manuel Valls en meeting dans la proche banlieue toulousaine dans le cadre de sa campagne électorale lors des primaires de la gauche (Photo : Pablo Tupin)

Quels sont tes meilleurs et pires souvenirs photographiques ?

J’ai énormément de souvenirs positifs de la photographie car je travaille énormément sur les ambiances, et sur l’aspect humain. Ainsi le contact avec les autres est toujours un aspect bénéfique de ce travail que j’apprécie infiniment.

Un souvenir m’a néanmoins particulièrement marqué. Le 9 janvier 2015, lors d’une cérémonie nocturne en hommage aux victimes de Charlie hebdo place du Capitole, j’ai pu prendre la foule en photo depuis le balcon de la salle des illustres place du Capitole. Voir une telle foule rassemblée, sans qu’un seul centimètre carré de la place et des rues avoisinantes soit libre, contre la barbarie et pour soutenir la liberté de la presse, fut un souvenir émotionnellement très riche à une période ou j’étais moi même bouleversé par ces attaques. Sans parler du fond, et des polémiques, cette vue m’a véritablement touché.

Je garde peu de véritables mauvais souvenirs de mes reportages néanmoins je pourrais citer l’agression de l’un de mes collègues par un militant sioniste lors de la couverture d’une action du mouvement BDS. J’ai du m’interposer entre lui et son agresseur car les forces de police, déployées en nombre conséquent, se contentaient d’observer la scène. Ainsi, la haine de certaines tranches de la population envers les journalistes et photographes de presse lorsqu’elle est directement exprimée qui plus est par la violence constitue toujours un souvenir désagréable.

Aujourd’hui tu prépares le Bac comment fais tu pour concilier études et photos ?

En fait je me contente de faire passer la photo avant les études car c’est en la photo que réside mon avenir professionnel. Si les études sont pour moi un moyen d’épanouissement et d’apprentissage au même titre que le savoir de terrain, j’essaie malgré tout de me dévouer avant tout à la photographie. Aujourd’hui, je parviens très bien à allier les deux d’une manière que je juge efficace.

Tu fais parti de Wikimédia France depuis quelques années, peux tu nous en dire plus sur ton rôle et tes missions. N’y a-t-il pas des photos que tu regrettes d’avoir partagé en CC ?

J’ai fais un bref passage par le service photo, ai été coordinateur de projet et suis aujourd’hui référent territorial pour le département. Ce rôle est un simple rôle de coordination de certaines actions et de communicant. De plus, je fais office de messager entre les salariés basés à Paris et les bénévoles toulousains.

Je ne fournis presque plus d’images en CC, sauf sur de petits événements culturels que je juge sympathiques. Les seules images que je regrette d’avoir partagé en CC sont celles qui ont été reprises et réutilisées par de grands médias ou sites internet au budget conséquent car là n’est pas leur rôle.

En effet ces images  sont pour moi destinées à être utilisées par de petits ou plus grands projets collaboratifs, des sites d’information sans pub ou qui peinent à se financer et sûrement pas à de grands groupes de presse qui les utilisent pour ne pas avoir à payer d’images alors qu’ils ont bien plus que les moyens de le faire.

Lorsque je publiais des photos plus cotées en CC, je tentais de toujours le faire quelques semaines après l’événement.

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Izïa Higelin au festival « Le Week-end des Curiosités 2015 » à Ramonville-Saint-Agne (Photo : Pablo Tupin)

Faire des photos de la campagne pour les élections présidentielles et ne pas encore pouvoir voter ce n’est pas une situation étrange ?

Non on contraire ce « dépucelage » électoral me permet de porter un regard neuf (ou innocent?) sur le procédé. De plus quand je travaille sur les élections, je travaille sur le procédé mais surtout sur ceux et celles qui se déplacent voter, ainsi je privilégie le côté humain. Si la situation peut sembler étrange je ne pense pas que ne pas pouvoir voter présente dans ce cas un handicap.

Ton jeune âge est il facilitant pour aborder ce sujet ou au contraire est-ce un frein ? Les attachés de presse t-ouvrent ils plus facilement les portes ?

Mon age est clairement un handicap car il apparaît qu’un jeune photographe ne peut pas être, au minimum, efficace, voir bon, au regard de certains. En général les attachés de presse ne connaissent pas mon âge et une barbe volumineuse m’aide à leur dissimuler l’information.

Jusqu’à maintenant tous les attachés de presse que j’ai côtoyé m’ont considéré comme un photographe en reportage en l’occurrence ce que j’étais. Néanmoins, y compris et surtout avec mes collègues, je n’aime pas ébruiter cette information car elle est source de dérision. En général lorsqu’on connaît mon jeune âge, on ne me prend pas au sérieux.

Devant-l’hôtel-de-police-de-Toulouse.-Manifestation-contre-l’usage-de-l’article-49-3-de-la-constitution-pour-appliquer-la-loi-travail.-Une-manifestante-brandit-une-pancarte-devant-les-force
Devant l’hôtel de police de Toulouse. Manifestation contre l’usage de l’article 49-3 de la constitution pour appliquer la loi travail. Une manifestante brandit une pancarte devant les forces de l’ordre (Photo : Pablo Tupin)

Tu illustres cet interview avec plusieurs photos, pourquoi celles ci ? Raconte-nous leurs histoires

En réalité je n’ai pas vraiment choisi ces images, et ce ne sont probablement pas mes plus beaux clichés. J’ai inséré les premières images qui me venaient à l’esprit lorsque je rédigeais mes réponses. Elles ont toute une histoire propre et une signification qui m’est personnelle  néanmoins je préfère jouer le jeu de la photographie et laisser le lecteur les apprécier telles qu’elles sont sans connaître le ressenti du photographe ou les conditions de prise de vue comme il pourrait les contempler dans le cadre d’une exposition photo ou une insertion dans un article de presse.

As-tu un conseil pour les photographes qui lisent ce billet ?

Je ne me permettrais pas de donner de conseils aux confrères, néanmoins, la première chose que j’ai appris en tant que photographe de terrain est à toujours valoriser l’aspect humain et le contact avec les autres.

En manifestation, où il peut parfois être compliqué de photographier certains acteurs, un sourire, une explication de ce que vous faites et pourquoi vous le faites peut toujours rassurer.

Je me souviens d’une journée de manifestation récente ou une femme s’était faite blesser par la police. Elle saignait abondement et quitte à passer pour un paparazzi, même si je déteste prendre ce genre de clichés, je suis parti immortaliser le moment. Un manifestant m’a demandé de ne pas prendre d’images, de manière assez virulente, ce que je peux comprendre.

En lui expliquant que si une photo n’était pas prise et diffusée cet événement n’aurait aucune incidence, et ne pourrait pas être pris en considération pour analyser la situation par ceux qui n’étaient pas présents sur le moment. Il m’a alors invité à prendre l’image.

2 COMMENTAIRES

    • @donlope
      il y a de très nombreux photographes, malheureusement j’ai parfois l’impression qu’il me faudra plus d’un blog pour tous les découvrir et partager ces rencontres avec vous

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