Vivre de la photographie n’est pas toujours simple. De plus en plus de gens pensent que faire des photos est une activité où l’argent coule à flot, mais la réalité est bien différente. Dans les lignes qui suivent, vous allez découvrir que pour (sur)vivre, un photographe voit passer des propositions que nombre d’entre vous qualifieront d’indécentes.
Je suis professionnel de la photographie depuis plusieurs années, mais le monde de la photographie arrive encore à me surprendre. Dans ces moments-là j’ai parfois la nausée de découvrir que certains de mes confrères acceptent de tels tarifs, de tels fonctionnements.
Un samedi matin vers 9 h 30, le téléphone sonne
Nous sommes un samedi matin, je suis rentré tard de la couverture d’une randonnée roller la veille. Mon matériel est prêt pour la journée qui m’attend, j’ai plusieurs reportages sur la journée. Il y a un reportage privé, celui pour une association et un qui doit venir illustrer le site Pyrros.fr.
Vers 9 h 30, mon téléphone sonne. Un samedi matin, ça ne peut qu’être une personne qui me connait. Je supporte difficilement que l’on m’appelle en dehors des heures de bureau pour me parler boulot. Surtout quand c’est quelque chose qui peut attendre. Je trouve que c’est un réel manque de respect pour celui ou celle qui se fait contacter en dehors de ces périodes.
Au téléphone une voix douce et posée m’explique qu’il est journaliste pour un grand titre de la Presse Quotidienne Régionale (PQR) et qu’il souhaite utiliser une de mes photos pour illustrer son article à paraitre dans 10 ou 15 jours.
« Nous mettrons votre nom sous la photo »
Le correspondant de presse me présente les raisons de son article. Il m’explique qu’il fait lui aussi des photos, mais qu’il n’a pas de photo de cet événement à annoncer. Le journaliste a pourtant tenté, mais son matériel, un compact, est trop peu performant. Il est vrai que photographier une activité sportive en sous bois demande un peu de matériel, mais cela demande surtout du savoir faire.
Arrive ce moment presque magique, celui où l’on commence à parler finances. Mais rapidement je déchante au lieu de m’annoncer son tarif, il m’indique que mon nom figurera dans la légende de la photo, que je serai crédité.
Traduction : « Je souhaite une photo gratuite »
Quand j’entends « nous mettrons votre nom en légende de la photo », je pense à mon frigo qui devrait se remplir avec mon seul nom. Je pense à mes factures qui s’entassent parfois. J’imagine toutes les vacances au soleil que je vais pouvoir m’offrir. Je n’oublie pas de penser à l’avenir, au boitier qui vieillit, etc.
Rapidement, face à mon imagination débordante, je reprends le dessus sur la conversation et pose la question de but en blanc : « Mais financièrement, combien vais-je gagner ? » J’ai à ce moment l’impression de devenir vulgaire avec mon interlocuteur. Pourtant, dans tous les autres boulots la question se pose et cela n’a rien de honteux. Heureusement mon interlocuteur ne se démonte pas et répond toujours aussi calme qu’il n’a pas l’intention d’acheter la photo.
Polis, je lui présente ma situation de photographe et lui rappelle avec flegme que la photographie est un métier, mon métier. Il est normal qu’il soit rétribué.
3.60 euros pour 4 h de boulot
Je sens que mon interlocuteur commence à perdre patience. Sans hésiter, sans honte non plus il me propose de me payer la photo 3.60 euros. Cela correspond à ce qu’on le paie pour la photo…
Dans les faits, le journaliste ne voulait/pouvait pas payer en salaire (pige) comme l’usage le voudrait. Il réclamait une facture. Cette facture aurait alors subit les charges des micro entreprises à 23% pour un photographe soit une retenue de 0.83 euro qui aurait réduit un peu plus le gain.
La réalisation de la facture aurait eu aussi un cout et aurait plombé mon temps de travail. Rendant le cout de production de la facture supérieure au gain réalisé.
Le salaud avait prévu d’être payé 3.60 euros pour une photo dont il n’est pas l’auteur. Mais ma colère ne se dirige pas encore contre lui. J’ai honte de découvrir que des photographes travaillent pour ce tarif, que le système impose de tels tarifs à certains.
J’ai passé 4 h sur le terrain, dans les transports et devant mon PC pour moi-même faire des photos, publier un articles sur Pyrros.fr mais je pourrais gagner moins d’une heure de SMIC pour une photo. Comment dire ?
Cela me rendrait presque malade si je n’entendais pas ce refrain au moins une fois par semaine. Parfois ce sont des particuliers, parfois des entreprises ou des associations qui me sollicitent pour que je travaille gratuitement. Certains osent même prétendre que ça me fera de la pub.
Ne pas s’énerver, on est samedi matin, le ciel est bleu
Par la fenêtre, je regarde le bleu du ciel. Il fait beau. J’ai débranché, je n’écoute plus mon interlocuteur, j’entends dans mon téléphone un vague ronronnement. Quand soudain, dans ce bruit de fond, je suis extrait aux forceps de ma rêverie.
J’entends : « vous savez moi je touche parfois moins de 3 euros de l’heure ».
En entendant cela je n’ai qu’une envie. HURLER ! Comment est ce possible en 2018 que certains acceptent de toucher moins que le SMIC ? Comment est ce possible que le droit du travail permette à de telles situations d’exister ? Certains se retrouvent presque esclaves avec un salaire aussi ridicule.
La passion n’explique pas tout. Il doit y avoir un truc de caché, ce n’est pas possible. Mais je reste sans réponse.
Je suis photographe professionnel
Je suis photographe professionnel et j’ai décidé quand je me suis lancé de n’accepter que des contrats qui me permettent de vivre. À 3,60 € la photo, je vais perdre du temps. Je ne gagnerai presque rien. La mention de mon nom ne me permettra pas de manger, de payer mes facture, de penser à l’avenir, etc. Pourtant j’ai essayé. Mais ça ne marche pas.
Avec courtoisie, je termine la communication. Ce n’est pas la faute de la personne que j’ai eu au téléphone. Ce correspondant de presse accepte les règles du jeu qui lui sont imposées. Moi j’ai décidé de rester libre face à de telles demandes. C’est la malhonnêteté des dirigeants de presse de proposer de tels contrats. Comment peut-on vivre correctement avec 3.60 euros ?
Et vous ? Avez-vous déjà de telles propositions en tant que photographe ou pour d’autres missions ?
Bonsoir…
Un grand classique malheureusement, et le « cadeau » du « Nous mettrons votre nom sous la photo » est bien sûr aussi une obligation légale…
Malgré la triste réalité qu’il rappelle, votre récit est fort bien écrit et tellement révélateur de la tendance actuelle….
Je me permets de le relayer sur ma page Droit & PHoto
Excellente soirée à vous
Joëlle
@Joëlle Verbrugge
Merci pour ce commentaire et le partage sur votre page 😉
J’ai plein d’autres histoire de ce genre en stock … Mais ici la goutte d’eau à fait déborder le vase
C’est hélas habituel avec la presse régionale… et à 3,60 u perds pas de temps, tu perds surtout de l’argent.
par contre j’ai pas trop compris le délire du « manque de respect » pour un appel le samedi matin. Si ya bien une profession où tout appel/mail est bon à prendre pour gagner sa croûte c’est celui là…
@Ju
Ce n’est pas un délire que d’avoir une vie en dehors du boulot. Ce n’est pas du délire quand l’article doit être publié 10 ou 15 jours plus tard que de vouloir vivre tranquillement. Ce n’est pas du délire de ne vouloir recevoir que des proposition honnête et équitable. Si la proposition avait été équilibrée, je n’aurais pas eu ce genre de délire …
Faire une facture pour 3.60€ est une perte de temps.
Ouest-France m’a appelé une fois pour me demander où j’avais pris une photo qui les intéressait…
Je leur répond, il ne connaissait pas cet endroit, me félicite pour mes photos.
2 semaines après, c’est un copain qui me félicite pour ma photo dans le journal.
-Quelle photo dans quel journal…??
En effet, une copie d’écran et le tour fût joué, avec mon nom sous la photo…
J’étais dégouté. A aucun moment ce journaleux m’a demandé m’a photo.
@Frédéric
Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai découvert l’une de mes photos dans un journal. Mais c’est plus rare les fois où j’ai un contact avec le journaliste. Je pense que les stagiaires sont bien encadrés par chez moi pour éviter de se faire prendre trop vite 😉
C’est malheureusement courant. J’ai moi-même été approché par un journaliste qui « apprécie ma vision de la photo ». J’ai vu ca comme un bonus par rapport à mon travail, j’étais pas contre. Finalement je suis devenu pigiste. Je ne l’ai pas fait longtemps, Huit articles, payés une misère (de mémoire une bonne centaine d’euros, pour un nombre d’heures incalculable entre le terrain et l’écriture) pour des commandes démentes : une page entière avec une photo, ou deux, ou trois.
J’y trouvais un certain intérêt puisque je pouvais rencontrer du monde, me créer un réseau en parallèle, visiter des lieux qui ne le sont pas ou peu.
Mais écrire un article ca prend du temps. Beaucoup. Et les photos tu sais ce que c’est.
Alors j’ai arrêté un mois et demi après, après m’être pris la tête avec ce journaliste qui te fait comprendre que ton nom ne signe jamais les articles mais juste les photos qui les illustrent. Ce même type qui « apprécie ta vision » et qui finalement ne cherche qu’a tirer du profit de son côté. En encore j’aurais eu de la rancœur si je n’avais pas conscience qu’il n’est qu’un rouage de tout cela et que s’il le fait c’est pour tirer son épingle de là.
Bref, c’est pas un métier c’est un passe temps si tu acceptes l’exploitation qui va avec. Moi j’avais le temps, c’était sur mon temps libre et puis j’avais envie de mettre les pieds dans le journalisme alors j’y trouvais mon compte.
Par contre si ton type en vit il se satisfait vraiment de rien et c’est révoltant.
@Aurelynx
Je ne peux pas dire si c’est un journaliste qui vit de son métier ou juste une personne qui fait cela sur son temps libre. Dans le premier cas, sa démarche n’est pas honnête mais peut être impulsée par sa direction. Dans le second c’est dommageable pour le journalisme que de faire appel à des correspondants de presse aussi mal reconnu. Cela veut dire que pour faire un papier publiable ils risquent « d’enjoliver » les choses, de faire du sensationnel quand il n’y en a pas, ou d’oublier de présenter des idées différentes des siennes.
c’est ça aussi le problème du « passe-temps »; il y a beaucoup de photographes amateurs qui font ce genre de « passe-temps » et pour qui 3.80 € la photo c’est mieux que rien, ça ajoute juste un peu de beurre dans les épinards… mais ils n’imaginent pas (ou s’en foutent) qu’il détruisent un marché pour ceux qui en font leur métier et en ont besoins pour vivre. Perso, photographe amateur, je refuse tout contrat de ce genre et, puisque c’est un « passe-temps », me contente de passer mon temps avec cette passion, me limitant à une exploitation « artistique » de mes photos : expos, ventes de tirages originaux.
@Francis GOUSSARD
J’aurais l’occasion de revenir prochainement sur les passes temps qui deviennent des boulots. Quand ca devient une activité à temps plein les regards évoluent sans quoi il faut traverser la rue rapidement pour aller visiter pole emploi
Très bien Loïc !! tu as raison de dénoncer ce qui arrive trop souvent !!!! Je partage sur ma page Facebook
@JEAN MARC DELTOMBE
Merci 😉 C’est l’occasion pour moi de découvrir une nouvelle page FB en plus
Bonsoir Loïc,
Un article qui résume très bien la tendance actuelle. C’est vraiment malheureux d’en être rendu à cette situation Ubuesque. Je partage sur les réseaux sociaux Pixfan.
Il faut continuer à se battre et dénoncer ces pratiques.
Bonne soirée,
Antony
@Anthony Barrroux
Malheureusement C’est une situation qui est ancienne, tout le monde s’en plaint mais rares sont ceux qui le disent suffisamment fort. Pire certains acceptent ces situations.
Merci pour le partage 😉
Bonjour,
Je partage parfaitement vos avis et cet article, malheureusement, ne m’étonne pas. Il a toutefois le mérite de rappeler que ce genre de démarche est encore trop souvent rencontré…
Je me permet également de partager votre témoignage.
@Sébastien
On a pas fini de se battre surtout que c’est une pratique qui semble normale pour certains. Mais avec ce genre d’article et ceux d’autre photographes on peut espérer que certains changeront d’avis et de manière de faire.
Salut ! Super billet d’humeur et de triste réalité. Il y a 7 ans j’étais correspondant pour une grande agence de presse à Montréal, je couvrais l’actualité culturelle québécoise à Paris en photo. À cette époque ils me donnait 10$/CAN par photo soit 6,63€…
J’envoyais un pack de 10 photos par événement… jusqu’au jour ils m’ont dit qu’ils n’avaient besoin que d’une photo par événement… Je leur ai répondu gentiment de mettre un de leur photographe de Montréal sur un avion, de lui payer un hôtel, le PerDiem etc etc
En ce moment je fais de la photo plateau cinéma et ont m’a contacter pour faire un tournage en juin mais en précisant qu’il n’avait pas de budget…. ainsi de suite
Tu as raison quand on parle argent pour la photo c’est comme si on devenait vulgaire…
Je partage!!!!
@Sly Deshaies
On a pas fini de raler contre ce genre de situation. Mais il me semble indispensable d’en parler le plus souvent pour sensibiliser tout le monde à cette problématique
Pas encore eu cette propal directe mais mes 10 ans d’archives chez Sipa (mais c’est pareil dans les autres grandes agences) ne se vendent pas plus cher, voire moins… les grandes agences pratiquent depuis la crise des forfaits et répartis au nombre de photos utilisées, cela nous fait toucher quelques euros, voire des centimes d’euros ! J’ai eu la chance de travailler en presse à une belle époque, et je ne vivais que de ventes presse très correctement payées… Malheureusement on ne peut plus vivre « QUE » de la presse. J’en ai été révolté de ces tarifs maintenant il me font marrer… Je discutais avec l’icono d’un canard tv… Son budget photo a été divisé par… 40… les couvertures se vendent 5 fois moins cher !!!! Là où nous avions l’habitude de produire des sujets que nous proposions ensuite aux journaux, nous ne le pouvons plus et ils commencent à se galérer à trouver des photos studio de telle ou telle personnalité (mon créneau) puisque donc plus personne n’en produit sans commande… CQFD… Nous sommes un des rares métiers où c’est le client qui fixe le tarif… essayons d’aller chez le boulanger et de dire au boulanger que sa baguette affichée 2,50 euros on va lui prendre mais à 50 centimes d’euros !!!! Bref c’est ainsi et tu as raison on ne doit pas accepter de travailler ou de céder ses droits à des tarifs indécents, cela ne rend service à personne au final… Bref refuser ces propositions à la con, continuer de taffer à des tarifs corrects, se diversifier et surtout.. continuer à être bons, seule façon de faire la différences avec les uns et les autres qui font ce métier de façon plus ou moins pro… Attention mon site est en refonte totale, pas à jour depuis 2013 et tellement dépassé ! 😉
@Lartige
Je sais hélas que les agences ne peuvent plus appliquer les même tarifs ce qui réduit de plus en plus les revenus des photographes. Cela oblige certains à choisir des solutions dangereuses ou à se diversifier. Dans le dernier ils abandonnent petit à petit ce boulot.
Effectivement, c’est la malhonnêteté de certains patrons, je vais parler de mon expérience radio car c’est pareil en radio. Des animateurs freelance avec tout leur matériel chez eux font des voix pour des radios à l’autre bout de la france et facturent … 1€ le speak de 20sec. Car plus cher, les radios n’achètent pas. Je vous fais le calcul rapide : pour une émission musicale de 3h par jour du lundi au vendredi sur un mois ça fait 240€. Brut. Et ça ne choque personne dans le milieu radiophonique … la faute aux patrons et aussi à ceux qui acceptent de travailler pour des tarifs aussi peu chers. Mais bon, je pense qu’on n’a jamais de la qualité a ces tarifs là alors nous sommes tranquilles. Si ils veulent de la qualité, ils mettent le prix. Point.
@Radioisdead
Tous les métiers de créatifs sont touchés. On retrouve le meme problème chez les graphistes et chez les auteurs.