Meero pète, ça sent le sapin pour l’ancienne licorne

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Je vous écris aujourd’hui pour rendre hommage à Meero, une entreprise qui a marqué l’histoire récente de la photographie. Cette « licorne » du monde de la finance, qui avait réussi à casser les prix du marché de la photographie en mettant en relation des clients et des photographes à des tarifs défiant toute concurrence, se casse la figure.

Pourtant, il y a quelques années encore, Meero était l’entreprise la plus en vogue du secteur de la photographie, attirant les regards des investisseurs et la haine de nombreux photographes. Elle avait réussi à convaincre les investisseurs les plus audacieux, grâce à son modèle économique disruptif, basé sur une rémunération extrêmement basse pour les photographes, et une forte présence technologique, soi-disant, dopé à l’Intelligence Artificielle et fortement soutenu par un marketing agressif.

Mais aujourd’hui, on apprend que cette entreprise, qui avait suscité tant d’espoirs et de promesses, est tombée de son piédestal. Les raisons de sa chute sont multiples et complexes. Mais elles témoignent avant tout de la difficulté à maintenir un équilibre fragile entre rentabilité et qualité.

Dans cet article, nous allons explorer les raisons de la cessation de paiement de Meero, ainsi que les conséquences de cette fermeture pour l’ensemble du marché de la photographie. Nous analyserons également l’impact de cette faillite sur les photographes indépendants, ainsi que sur les clients de la plateforme, qui avaient trouvé en Meero une solution peu coûteuse, mais controversée pour leurs besoins en matière de photographie.

La licorne Meero qui voulait disrupter la photographie abandonne
La licorne Meero sa casse la figure

Rappel : Qu’est ce que Meero ?

On pense parfois à tort que l’entreprise a été créée en 2016, mais Meero est inscrite au registre de commerce en février 2014.

Meero est une entreprise française fondée en 2014 par Thomas Rebaud et Guillaume Lestrade. Elle a connu une croissance rapide grâce à son modèle économique disruptif, qui consistait à mettre en relation des photographes indépendants avec des clients du monde entier, en proposant des tarifs attractifs. Disons-le clairement, Meero, apporteur d’affaires, voulait se gaver sur le dos des photographes en prenant de 60 à 80% du prix de la prestation.

Dans le monde de la finance, une Licorne désigne une entreprise, généralement une startup valorisée à plus d’un milliard.

En 2019, Meero est devenue une licorne française avec à une levée de fonds de 205 millions d’euros. L’entreprise brule de l’argent pour attirer des photographes méfiants à l’égard de l’entreprise. De nombreux photographes dénoncent les tarifs et les méthodes de Meero. Le gouvernement français, de son côté, se frotte les mains en voyant une licorne naitre en France.

Annoncé en septembre 2019 Meero intègre le Next40. Le Next40 est un label créé par le gouvernement pour soutenir les 40 entreprises les plus prometteuses en France et les aider dans leur développement à l’international. Les entreprises dans le Next40 bénéficient de services dédiés (Urssaf, CNIL, douanes, INPI) et disposent de correspondants dans de nombreux services publics et administrations. Ces 40 entreprises bénéficient en outre d’une mise en avant à l’international.

De 2020 à 2022, le monde la photo subi comme tous les secteurs économiques, l’impact de la crise du Covid-19. Pour Meero ses principaux clients réduisent leurs besoins en photographie.

En 2022, l’entreprise fait face à des difficultés financières et licencie une partie de ses employés. La rumeur enfle chez les photographes que Meero se casse la figure. Certains parlent de cessation de paiements. Mais fin mars 2023, la rumeur se confirme. Des photographes reçoivent un email dans lequel l’ancienne licorne rompt les contrats en cours avec les photographes.

Début 2023, ne fait plus partie du Next40 ni même du FrenchTech120 qui intègre les 120 entreprises le plus prometteuses en France.

Au printemps 2023, l’entreprise annonce changer de modèle économique. Elle souhaite désormais proposer des services aux photographes au lieu de proposer une mise en relation entre les clients et les photographes. Mais les photographes pourront ils faire confiance à l’entreprise qui a tenté d’uberiser le marché de la photographie au profit d’investisseurs ?

Meero, la « licorne » qui cassait le marché de la photographie

Meero était une entreprise ambitieuse. Ses dirigeants, tout droit sortie d’école de commerce, souhaitaient développer des idées novatrices pour la photographie. Elle a suscité un grand enthousiasme parmi les investisseurs qui ont cru en cette vision disruptive. Son modèle économique reposait sur des tarifs défiant toute concurrence, attirant de nombreux clients.

Pourtant, cette entreprise n’a pas tardé à être controversée. Les critiques ont souligné que les tarifs de Meero étaient trop bas pour être durables. Ils ne permettaient pas aux photographes indépendants de gagner leur vie de manière décente. Ils émettaient aussi de nombreuses critiques envers le fonctionnement de Meero. Le droit d’auteur était gommé au profit d’un cahier des charges strict réduisant les photographes au statut de presses-bouton, de techniciens. Du côté des photographes, de nombreux professionnels ont grincé des dents, parfois tiré à boulets rouges sur l’entreprise, notamment lors de l’annonce de sa grande levée de fond.

Mais malgré ces critiques, Meero a continué à se développer, devenant une « licorne » du monde de la finance, avec des levées de fonds de plus en plus importantes. Cette entreprise était considérée comme un symbole de la réussite entrepreneuriale, un exemple de l’innovation française qui avait conquis le monde. Le Ministre de l’Économie et le Président de République (qui a facilité l’arrivée d’Uber en France) se félicitaient même de cette réussite, refusant de voir les conséquences pour les photographes.

Aujourd’hui, cependant, on découvre que Meero se casse la figure. Le modèle économique de Meero ne pouvait pas fonctionner à long terme. Les investisseurs ont retiré leur soutien. Dans le monde la Tech de nombreuses entreprises licencient et cherchent à faire des économies.

Meero, la « licorne » au pied d’argile, est tombée de son piédestal, révélant les limites de son modèle économique et la difficulté de trouver un équilibre entre rentabilité et qualité dans l’industrie de la photographie. Meero comme de nombreuses entreprises de la tech est victimes du ralentissement économique, de l’augmentation des taux d’intérêts et de sa capacité à bruler de l’argent.

En décembre 2022, les photographes recevaient ce premier mail. (Merci au photographe qui m’a transmis la capture d’écran)

La chute de Meero, la licorne qui se prenait pour un bœuf

La période de crise sanitaire a fortement impacté le marché de la photographie et les principaux clients de Meero ont vu leur demande baisser considérablement. Cette baisse d’activité a entraîné une réduction importante des revenus de l’entreprise. De plus, le modèle économique de Meero, qui proposait des tarifs très bas pour les photographes, ne lui permettait pas de dégager des marges suffisantes pour assurer sa pérennité.

En outre, la stratégie de croissance rapide de l’entreprise a nécessité des investissements importants en marketing et en développement technologique, la volonté de s’implanter partout dans le monde, ont creusé les pertes de Meero et ont conduit l’entreprise à brûler rapidement ses réserves de trésorerie. Malgré les levées de fonds importantes réalisées en 2019, l’entreprise rencontre des difficultés dès 2022.

En définitive, la chute de Meero témoigne des difficultés rencontrées par les start-ups qui tentent de révolutionner des secteurs traditionnels en proposant des modèles économiques innovants. Si ces modèles peuvent sembler prometteurs sur le papier, leur viabilité à long terme est souvent mise à l’épreuve par des événements imprévus et des facteurs externes difficilement prévisibles.

Les conséquences de l’apparition de Meero dans le marché de la photographie

L’arrivée de Meero au-delà de faire couler beaucoup d’encre, a fait croire aux clients que les photographies ne coutaient presque rien, que c’était facile à réaliser et que les photographes indépendants sont des voleurs. Des apporteurs d’affaires se sont lancées sur le créneau de la mise en relation, accentuant la pression sur les photographes. Ces entreprises géantes, soutenues par d’importants investissements, ont la fâcheuse tendance à se la jouer Attila et à raser toute forme de concurrence.

Certains clients de Meero ont bien compris que la photographie est indispensable. Mais ils ont aussi pu constater que l’on peut aisément réduire les photographes au simple rôle de technicien. Il est alors possible de moins les payer, et surtout de leur confier des missions annexes. Ainsi, certains photographes de Meero devait inventorier les services proposés par des lieux qu’ils devaient photographier.

Certains photographes ne seraient pas devenus photographes sans Meero. Ils doivent aujourd’hui rebondir sans portefolio (à cause des conditions imposées par Meero) dans un marché saturé.

Meero, la faute des photographes ?

Meero pour attirer de la main d’œuvre à bas cout a parfois piégé des photographes. Ainsi Raymond Depardon en 2019 accorde une interview au magazine Blind édité par l’Uber de la photographie. Le photographe de renom se dit après coup blessé et contrarié.

Certains photographes qui travaillent avec les microstocks ont aussi refusé de se positionner contre Meero ou tout du moins d’expliquer pourquoi il était dangereux de passer par la plateforme alors qu’elle était encore en plein développement. D’autres n’ont pas voulu voir en Meero un concurrent capable d’influer leurs activités et pourtant…

Sans les photographes, Meero n’aurait sans doute pas pu devenir une licorne. Cependant, jusqu’à 60’000 photographes collaboraient avec l’Uber de la photographie. Comment imaginer que des photographes ont fait le choix de passer par les services sous-payés de Meero pour espérer survivre.

Cela souligne la fragilité du monde de la photographie et l’hyper concurrence qui se développe face à l’apparente facilité à de devenir photographe. N’est-il pas possible de refuser des prix trop bas pour vivre ? Ces photographes savent ils seulement faire un devis ? Je sais combien il peut être difficile de refuser un contrat même si celui est déséquilibré. Mais il faut rester réaliste, ce n’est pas en acceptant des prix cassés que l’on avance et que l’on survit. Quelle valeur donne-t-on à notre travail ?

Meero dans un mail envoyé aux photographes rompt la relation entre l'entreprise et les photographes
Meero, dans un mail envoyé aux photographes, annonce la fin de leur collaboration
(Merci au photographe qui m’a transmis la capture d’écran)

Que va devenir Meero ?

Aujourd’hui, Meero licencie de nombreux collaborateurs dans un contexte économique incertain. Le PDG n’est désormais plus l’un de 2 co-fondateurs de la licorne. L’entreprise qui souhaitait devenir une plateforme de mise en relation entre de potentiels clients et les photographes envisage à présent de proposer des services dits SAAS.

Ces services à destinations des photographes doivent permettre aux photographes de devenir plus productifs. Notamment dans le domaine de la retouche d’image assisté par Intelligence Artificielle. Mais d’autres outils pourraient être proposés. Ils étaient d’ailleurs annoncés lors de la levée de fond en 2019.

RIP Meero, l’uber de la photographie.

En guise de conclusion, je tiens à adresser mes condoléances les plus sincères à l’entreprise Meero. Nous avons perdu une véritable perle de l’industrie de la photographie. Bien que son modèle économique ait été critiqué dès ses débuts, Meero avait réussi à devenir une « licorne » du monde de la finance, suscitant l’admiration des investisseurs les plus téméraires.

Mais malheureusement, les défis étaient trop grands, la chute inévitable. Les pertes financières colossales, le manque de rentabilité, la mauvaise gestion et la période difficile de la pandémie ont eu raison de l’entreprise.

Nous, les photographes, regretterons Meero pour sa contribution à l’industrie de la photographie et pour avoir montré que casser les prix peut parfois coûter cher. Nous espérons que les employés licenciés trouveront rapidement un nouvel emploi loin de la photographie et de l’uberisation de notre société et que les photographes indépendants, qui voyaient ici l’occasion de glaner quelques miettes, trouveront d’autres moyens de vendre leurs services à un prix équitable.

Adieu Meero, tu nous manqueras… ou pas.

10 COMMENTAIRES

  1. Tu sembles ne pas les aimer et tu as raison. Comment peut on soutenir de telles entreprises ? Elles ne produisent rien et leurs créateurs gestionnaires ne savent pas les gérer pourtant l’argent doit couler à flot pour ces « startup ».

    • @Afolaurent
      Effectivement pour ces startups l’argent coule à flot tant qu’il y a des investisseurs et des promesses. Mais un jour, comme aujourd’hui pour Meero, les robinets se ferment parfois.

  2. J’adore le titre de ton article. Enfin un photographe qui ose dire tout haut ce qu’il pense sur Meero.

    Les start up peuvent nous etre utiles c’est le cas avec Doctolib par exemple. Un de mes parents est médecin et il trouve ca très pratique. Il n’avait pas de secrétaire, cela lui permet de gagner du temps. Mais de plus en plus en plus il pense rejoindre une maison de santé. Dans ce cas il aura très probablement une secrétaire qu’il partagera avec les autres professionnels de santé présents.

    Mais Meero ne vient pas combler un manque mais prendre notre boulot pour moins nous payer. Pire il prend des taches que l’on pouvait facturer avec une IA que certains dénoncent en supposant que ce sont des employés étrangers qui jouent les petites mains à la place de l’IA.

    • @Photographe Anonyme
      Je n’ai malheureusement rien trouvé qui permet d’affirmer que Meero utilise des petites mains à l place de l’IA. Mais c’est une information qui circule souvent.

  3. J’ai adoré cet article avec des arguments a charge et à décharge. Je ne connaissais pas Meero. Mais si j’avais connu, je me serai méfiée : plus grands yeux que grand ventre et la grenouille qui voulait se faire plus grosse que le boeuf. Et une entreprise qui récupère 60% du prix d’une photo alors que c’est quelqu’un d’autre qui appuie sur le bouton, choisit le cadre, fournit l’APN, bref fait 90% du boulot …. çà craint !

    • @barruhet
      Les intermédiaires ne sont souvent présents que pour prendre l’argent, on le voit partout dans la grande distribution, par exemple le prix peut être multiplié par 2 ou 3 juste parce qu’il passe par un intermédiaire et dans ce cas les producteurs aussi subissent une politique tarifaire qui ne leur permet pas de vivre correctement.

  4. Merci pour cet article que je vient de voir passer dans un groupe photo. Le titre m’a mis en pls mais l’analyse et les explications sont limpides.

    Je voudrais plus d’histoires comme celle-ci.

    Rip meero

    • @John Doe
      Oui, il est toujours souhaitable de voir des géants se casser la figure, mais ce serait encore mieux s’ils pouvaient éviter de venir casser des secteurs entiers avec des propositions que les artisans ne peuvent supporter. Meero est un exemple parmi d’autres. Mais ici, il concerne le monde de la photographie.

  5. Dans le concept de plateforme de mise en relation, tout n’est pas à jeter. Comme d’autres, j’ai moi-même oeuvré pendant plusieurs années de cette manière, le site s’appelait Imagera et le client Pierres & Vacances. Ce fut pour moi très formateur, car très bien organisé, et raisonnablement rémunérateur, sinon, je n’aurais pas signé, ou pas poursuivi.
    Evidemment, s’agissant de Meero, j’ai pu vite constater que les millions d’euros, et le milliard de capitalisation, n’avaient pas pour finalité de nous rémunérer correctement. Contrairement à ce que prétendait son fondateur auprès de la presse spécialisée business, dont on peut encore retrouver les interview (Forbes et autres). A la lecture de ses propos, on mesure d’ailleurs toute la mégalomanie qui a animé ces jeunes requins qui ne connaissaient rien au métier qu’ils prétendaient révolutionner de A à Z. Cette arrogance, j’avais pu la mesurer également en échangeant auprès d’une de leurs responsables au salon de la photo. A ses yeux, nous étions incapables d’embrasser tous les aspects de notre métier, sa solution étant donc de nous en déposséder intégralement, nous réduisant à de simples opérateurs.
    Meero a très tôt parlé d’intelligence artificielle, et pour moi cela a toujours été un gros fake. J’ai l’habitude de dire à mes clients que si vous disposez une pomme sur une table et demander à 10 photographes différents de la photographier, vous aurez 10 résultats différents. Et j’espère qu’il en sera toujours ainsi, car la photographie est un acte sensible, humain et artistique, c’est bête à dire, mais il faut toujours le rappeler. Même si la standardisation des visuels fait aussi son chemin, malheureusement, puisque comme Meero a tenté de le faire, les grandes firmes qui entendent régir nos vies se font un devoir de proposer un produit rigoureusement identique à n’importe quel endroit de la planète.
    J’ai donc eu la surprise, hier, d’apprendre par un prospect – qui me contactait car il avait trouvé mon travail sur mon propre site internet, et se disait séduit par celui-ci – que Meero avait raccroché les gants. Je me délecte déjà à me remémorer cet instant où j’ai prononcé ces mots : ah bon, ils ont arrêté ? En effet, je facture aujourd’hui 10 fois plus que ce que ces gens me proposaient à l’époque, pour le même travail. Et même s’ils ont fait du mal à notre métier, et la perception de sa valeur par certains de nos clients, j’ai personnellement réussi à tenir le coup pendant cette tempête !

    • @Laurent Fabry
      C’est vrai que tout n’est pas jeté dans les plateformes de mise en relation sauf peut-être le cout des commissions qui ne cesse d’augmenter.
      Les clients qui cherchent mieux que ce que proposent les géants sont malheureusement trop rares, mais ils existent. Il faut en prendre soin.

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