Instabilité politique et TVA des micro-entrepreneurs

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Depuis la démission du gouvernement Lecornu, la France traverse une nouvelle période d’instabilité politique. Si ce genre d’événement semble éloigné du quotidien des travailleurs indépendants, il pourrait pourtant avoir des conséquences directes sur le régime fiscal des micro-entrepreneurs.

Au cœur de cette inquiétude : la baisse du seuil de franchise de TVA, un projet très contesté qui, malgré son abandon annoncé au printemps, risque de revenir par la petite porte. L’absence d’un gouvernement pleinement opérationnel complique en effet le calendrier parlementaire et ouvre la voie à une adoption “en creux” lors du prochain projet de loi de finances.

Pancarte « Lecornu démission » lors de 10 septembrre à Toulouse dans la manifestation « Bloquons tout »

Retour sur un projet fiscal explosif

Une réforme censée “simplifier” mais lourde de conséquences

À l’origine, la réforme prévoyait un seuil unique de franchise de TVA fixé à 25 000 € de chiffre d’affaires annuel, quel que soit le type d’activité. L’objectif affiché par Bercy était de suivre les demandes des lobbys du BTP et de rétablir une concurrence équitable entre les micro-entrepreneurs et les entreprises assujetties à la TVA.

Jusqu’ici, deux seuils coexistaient :

  • 85 000 € pour les activités de vente,
  • 37 500 € pour les prestations de service.

Pour de nombreux indépendants, cette baisse aurait signifié un choc économique : hausse mécanique des prix pour conserver la même marge ou réduction drastique du revenu net pour rester compétitif. Les photographes, graphistes, artisans et prestataires de service auraient été parmi les plus touchés.

Une fronde inédite et un report arraché par les micro-entrepreneurs

Dès la fin de 2024, la mobilisation du terrain a surpris le gouvernement. Associations, syndicats et collectifs de freelances ont dénoncé une mesure « injuste » et « déconnectée des réalités économiques ».

Sous la pression, le gouvernement Bayrou a suspendu la réforme début 2025, annonçant une consultation approfondie avec les organisations professionnelles. Puis, au printemps, après une forte mobilisation des microentrepreneurs, la décision est tombée : le projet serait abrogé via une proposition de loi portée par le député Paul Midy, adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale.

À ce moment-là, tout semblait réglé : les micro-entrepreneurs pouvaient souffler.

Mais c’était sans compter sur la crise politique de l’automne 2025.

2 Premiers ministres démissionnaires et un PLF 2026

Le 8 septembre 2025, François Bayrou, alors Premier ministre, a présenté la démission de son gouvernement après l’échec du vote de confiance sur sa déclaration de politique générale. Avant son départ, il avait transmis au Conseil d’État le projet de loi de finances pour 2026, intégrant une mesure controversée : la baisse de la franchise en base de TVA à 37 500 € pour l’ensemble des micro-entrepreneurs, avec une exception fixée à 25 000 € pour les métiers du bâtiment. Cette disposition, déjà vivement critiquée en début d’année, refait donc surface dans un contexte politique particulièrement instable.

Nommé à Matignon le 9 septembre, Sébastien Lecornu laissait planer une incertitude lourde de conséquences pour les indépendants et les petites structures.

L’instabilité politique relance les inquiétudes des micro-entrepreneurs

Si la démission du gouvernement Lecornu bouleverse les équilibres politiques, elle ravive surtout une inquiétude très concrète chez les micro-entrepreneurs. En théorie, la loi portée par le député Paul Midy, adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale au printemps 2025, devait abroger définitivement la baisse du seuil de TVA. Actuellement cette loi attend de passer devant le Sénat. Mais pour qu’une loi soit pleinement applicable, il faut qu’un décret d’application soit publié au Journal officiel.

Or, ce décret n’a toujours pas vu le jour. Et avec un gouvernement démissionnaire, les ministres ne peuvent plus signer de nouveaux textes réglementaires, puisqu’ils se contentent “d’expédier les affaires courantes”.

Résultat : l’abrogation reste suspendue, faute d’application administrative. Cette zone grise juridique ouvre la porte à un scénario redouté par les indépendants : celui où la réforme initiale, pourtant rejetée par le Parlement, pourrait ressurgir automatiquement lors de l’examen du projet de loi de finances 2026.

Autrement dit, l’absence de décret vaut blocage — et ce blocage risque de profiter à ceux qui souhaitaient, dès le départ, abaisser le seuil de franchise de TVA à 25 000 €.

Les associations de micro-entrepreneurs, dont la FNAE, appellent à la vigilance : sans gouvernement stable pour signer le décret d’abrogation, la réforme pourrait revenir par inertie, sans débat, ni concertation, ni véritable volonté politique.

Les micro-entrepreneurs à nouveau sous tension

Un effet domino sur les petits revenus

Pour de nombreux indépendants, franchir le seuil de TVA signifie entrer dans une logique comptable complexe :

  • obligation de facturer et déclarer la TVA,
  • gestion mensuelle ou trimestrielle des déclarations,
  • adaptation des tarifs et de la communication.

Un photographe réalisant 30 000 € de chiffre d’affaires, par exemple, verrait ses tarifs augmenter de 20 % pour conserver la même marge. Or, sur un marché concurrentiel où la sensibilité au prix reste forte, cette hausse est difficilement tenable.

Résultat : certains préfèreraient freiner leur activité pour ne pas dépasser le seuil, un non-sens économique total.

Un sentiment d’instabilité fiscale pour les micro-entreprises

Depuis trois ans, le régime de la micro-entreprise a connu plusieurs réformes successives. Pour beaucoup d’indépendants, la confiance est érodée. Chaque loi de finances devient une source d’angoisse.

L’instabilité politique actuelle ne fait qu’amplifier cette incertitude. À défaut de visibilité, les entrepreneurs retardent leurs investissements, hésitent à embaucher ou à se structurer.

Cette insécurité fiscale nuit directement à la dynamique entrepreneuriale française, alors même que les micro-entreprises représentent près de 40 % des créations d’activité en France.

Scénarios possibles pour les mois à venir

ScénarioConséquence pour les micro-entrepreneursRisque politique
La réforme est réintroduite discrètement dans le PLF 2026Baisse du seuil à 25 000 €, forte perte de margeForte contestation sociale
Le texte de loi abrogeant la réforme est confirmé au SénatMaintien des seuils actuelsÉquilibre politique fragile
Un compromis sectoriel est trouvéSeuils différenciés selon l’activitéRéformes en cascade
Le projet est repoussé à 2027Statut quo temporaireRetour du sujet après les élections

Une question de méthode plus que de chiffres

Au-delà du fond, c’est la manière de faire qui inquiète. Si la réforme de la TVA devait revenir dans le budget sans consultation ni étude d’impact, ce serait un mauvais signal démocratique.

Toucher à un pilier du régime micro-entrepreneur exige une concertation transparente, des simulations économiques sectorielles et un calendrier clair.

Le débat fiscal ne peut pas se résumer à une ligne insérée dans un texte budgétaire voté à la hâte.

En conclusion

L’instabilité politique actuelle dépasse le simple jeu parlementaire : elle met en péril la prévisibilité fiscale dont les indépendants ont besoin pour travailler sereinement.

La baisse du seuil de TVA chez les micro-entrepreneurs, déjà largement rejetée par la profession, pourrait renaître à la faveur d’un vide institutionnel.

Reste à espérer que les parlementaires, les associations et les syndicats se montreront vigilants dans les prochaines semaines pour éviter qu’une réforme aussi lourde ne passe… dans le silence.

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