En photographie numérique, la couleur est au cœur de notre travail. Qu’il s’agisse de retranscrire fidèlement une ambiance, de jouer avec les contrastes ou de sublimer une scène, la justesse des couleurs est un enjeu majeur. Pourtant, entre le moment de la prise de vue, la retouche sur ordinateur et l’export pour l’impression ou la publication web, il arrive souvent que les couleurs changent. Certaines deviennent ternes, d’autres paraissent surexposées ou désaturées. La cause ? Bien souvent, une mauvaise gestion des espaces colorimétriques.
Ce concept, encore méconnu de nombreux photographes, est pourtant fondamental. Il ne s’agit pas simplement de préférer le rouge vif au rouge brique, mais bien de comprendre les limites techniques des fichiers, des logiciels et des écrans avec lesquels nous travaillons. Chaque image numérique s’inscrit dans un espace colorimétrique, un référentiel de couleurs. Et tous ne se valent pas.
Dans cet article, nous allons décrypter ce qu’est un espace colorimétrique, pourquoi il est essentiel de le choisir avec soin, et comment éviter les mauvaises surprises, notamment lors des allers-retours entre Lightroom et Photoshop. En comprenant mieux ces enjeux, vous pourrez optimiser votre flux de travail, garantir la fidélité de vos images et gagner en professionnalisme.

Qu’est-ce qu’un espace colorimétrique ?
Un espace colorimétrique est un système mathématique qui permet de représenter les couleurs visibles par l’œil humain dans un environnement numérique. Il s’agit d’un référentiel de couleurs : chaque couleur est définie par une combinaison de valeurs (souvent en rouge, vert et bleu) qui correspondent à une teinte précise.
L’espace colorimétrique définit donc l’étendue des couleurs, aussi appelée gamut, qu’un fichier, un capteur, un logiciel ou un écran peut représenter. Plus le gamut est large, plus l’espace peut contenir de couleurs saturées et nuancées. À l’inverse, un gamut étroit limite la richesse des couleurs disponibles.
Le lien avec la perception humaine
L’œil humain est capable de percevoir une immense variété de couleurs. Cependant, tous les dispositifs numériques ne peuvent pas restituer cette richesse. Les espaces colorimétriques sont donc des compromis techniques, qui cherchent à couvrir un maximum de nuances tout en restant exploitables par les appareils photo, les logiciels de traitement d’image, les écrans ou les imprimantes.
Une image = un espace colorimétrique
Lorsque vous capturez une photo en RAW, celle-ci contient un maximum d’informations colorimétriques, mais elle n’est pas encore « enfermée » dans un espace colorimétrique précis. Ce choix intervient lors du développement, notamment dans Lightroom ou Photoshop. En revanche, une image exportée en JPEG ou TIFF est toujours liée à un espace colorimétrique, qu’il s’agisse du sRGB, de l’Adobe RGB, ou du ProPhoto RGB. Ce choix a des conséquences importantes, notamment sur la compatibilité avec les écrans, les logiciels, ou les imprimeurs.
Les principaux espaces colorimétriques en photographie
En photographie numérique, trois espaces colorimétriques sont les plus couramment utilisés : sRGB, Adobe RGB et ProPhoto RGB. Chacun possède des caractéristiques spécifiques, avec un gamut (étendue de couleurs) plus ou moins large, ce qui influence directement le rendu final de vos images.
sRGB : le standard universel

Le sRGB (Standard Red Green Blue) est l’espace colorimétrique le plus utilisé dans le monde numérique. C’est celui qui est adopté par défaut sur la plupart des écrans, des smartphones, des navigateurs web, et des réseaux sociaux. Il couvre une gamme de couleurs relativement restreinte, mais suffisante pour la majorité des usages courants.
Avantages de sRGB :
- Excellente compatibilité avec les écrans non calibrés
- Rendu stable et cohérent entre les logiciels et les plateformes
- Idéal pour les publications web ou les envois par e-mail
Inconvénients du sRGB :
- Gamut limité, particulièrement dans les verts et les cyan
- Moins adapté aux tirages professionnels, qui peuvent afficher des couleurs plus riches
Pour les photographes diffusant principalement leurs images en ligne ou sur des écrans classiques, le sRGB reste le choix le plus sûr.
Adobe RGB : pour les travaux imprimés

L’Adobe RGB 1998 a été conçu pour répondre aux limites du sRGB, en couvrant une plus large gamme de couleurs, notamment dans les tons verts et cyan. Cet espace est particulièrement intéressant pour les tirages photo professionnels et l’impression en général, car il permet une meilleure fidélité des couleurs.
Avantages du Adobe RGB :
- Gamut plus étendu que sRGB
- Meilleure gestion des couleurs à l’impression (si l’imprimeur accepte le profil)
- Permet une retouche plus précise sur certains tons
Inconvénients du Adobe RGB :
- Moins bien pris en charge sur les écrans standards
- Nécessite que le profil ICC soit bien intégré pour éviter les dérives
- Rendu parfois « terne » à l’affichage sur des navigateurs ou des écrans non compatibles
Attention : une image en Adobe RGB publiée sur internet sans conversion ni profil intégré peut apparaître délavée ou désaturée sur la majorité des écrans.
ProPhoto RGB : pour la retouche de fichiers RAW

Le ProPhoto RGB est l’espace colorimétrique le plus large utilisé en photographie. Il couvre presque toutes les couleurs visibles par l’œil humain et va même au-delà (ce qui implique que certaines couleurs ne sont techniquement pas affichables sur un écran classique).
Avantages du ProPhoto RGB :
- Gamut extrêmement large : idéal pour le traitement de fichiers RAW en 16 bits
- Préserve un maximum d’informations colorimétriques lors des retouches avancées
- Evite les pertes dues aux compressions répétées ou aux ajustements poussés
Inconvénients du ProPhoto RGB :
- Très mauvaise compatibilité avec les écrans et les logiciels non calibrés
- Représentation souvent trompeuse à l’écran si mal gérée
- Profil indispensable : sans lui, le rendu peut être catastrophique
Le ProPhoto RGB est donc réservé aux photographes expérimentés, travaillant sur des images RAW en 16 bits, avec un flux de travail maîtrisé du début à la fin.
Comment choisir le bon espace colorimétrique ?
Il n’existe pas un meilleur espace colorimétrique, mais un espace adapté à chaque usage. Le choix dépend de plusieurs critères : la destination finale de l’image, le niveau de retouche envisagé, les supports de diffusion, et les outils utilisés dans le flux de travail.
Choisir en fonction du support de destination
- Pour le web (sites, blogs, réseaux sociaux) : privilégier sRGB
- Pour l’impression standard (livres photo, labos en ligne) : sRGB est souvent recommandé, car la majorité des imprimantes le prennent en charge
- Pour l’impression professionnelle (Fine Art, exposition, imprimeur spécialisé) : Adobe RGB, voire ProPhoto RGB, si le fichier est géré par un prestataire compétent
Choisir selon votre flux de travail
- Retouche légère sur JPEG ou TIFF : sRGB est suffisant
- Post-traitement avancé de fichiers RAW : travail en ProPhoto RGB dans Lightroom, puis export en Adobe RGB ou sRGB selon l’usage
- Tirage de qualité ou concours photo : utiliser Adobe RGB avec profil ICC intégré
Tableau comparatif des espaces colorimétriques
| Espace | Étendue (gamut) | Usage recommandé | Affichage écran | Impression pro | Publication web |
|---|---|---|---|---|---|
| sRGB | Restreinte | Web, réseaux sociaux, usage général | Très bon | Acceptable | Excellent |
| Adobe RGB | Moyenne à large | Impression de qualité, expo photo | Moyen | Très bon | Risqué (si mal géré) |
| ProPhoto RGB | Très large | Retouche RAW, archives, haut niveau | Faible (sans calibration) | Excellent (avec conversion) | À éviter |
Problèmes liés à la gestion des espaces colorimétriques entre logiciels
Même si vous avez bien choisi votre espace colorimétrique lors de l’export, vous pouvez rencontrer des écarts de couleurs visibles en fonction du logiciel utilisé pour afficher ou modifier vos images. Ces différences proviennent souvent d’un manque d’uniformité dans la gestion des profils ICC, ou d’un paramétrage incohérent entre logiciels. Le couple Lightroom–Photoshop est un exemple typique de ce genre de situation.
Lightroom vs Photoshop : attention à la cohérence !
Lightroom Classic utilise un espace colorimétrique interne appelé Melissa RGB, basé sur le ProPhoto RGB, avec un gamma modifié. Ce choix permet de préserver un maximum de données issues du fichier RAW, notamment lors des ajustements poussés sur l’exposition, la balance des blancs ou les couleurs.
Lorsqu’on passe ensuite une photo de Lightroom vers Photoshop via la commande « Modifier dans Photoshop », Adobe permet de choisir l’espace colorimétrique utilisé dans le fichier transmis.
Mais si Photoshop est mal configuré (par exemple en sRGB alors que Lightroom travaille en ProPhoto RGB), il y a un risque de conversion automatique, voire de conflit entre profils, ce qui peut engendrer :
- des couleurs délavées ou saturées anormalement,
- une modification subtile mais gênante des tons chair ou des dégradés de ciel,
- une perte de précision dans les retouches.
Lightroom est proposé seul avec 1 To de stockage dans le cloud d’Abode. Mais on trouve aussi Lightroom dans un pack avec Photoshop et 20 Go de stockage cloud.
Il est possible d’augmenter la capacité du stockage moyennant finance.
Problèmes avec d’autres logiciels ou visionneuses
D’autres logiciels peuvent aussi poser problème :
- Les visionneuses d’images intégrées à Windows ou macOS ignorent parfois les profils ICC : une image en Adobe RGB ou ProPhoto RGB s’affichera avec des couleurs fausses (désaturées, grises).
- Les navigateurs web (notamment sur mobile) peuvent interpréter partiellement les profils, ce qui rend l’affichage hasardeux pour les images non converties en sRGB.
- Les réseaux sociaux, comme Facebook ou Instagram, recompressent les images et convertissent parfois automatiquement en sRGB, sans tenir compte du profil initial.
Tous ces comportements entraînent des rendus incohérents, surtout lorsque les images sont destinées à être diffusées sur plusieurs supports.
Comment éviter les erreurs de conversion et les mauvaises surprises ?
Heureusement, il est tout à fait possible de limiter les dérives colorimétriques en adoptant quelques bonnes pratiques. Le secret réside dans l’harmonisation des paramètres entre les logiciels, l’intégration correcte des profils ICC, et une bonne anticipation des usages.
Bien paramétrer ses logiciels photo
Dans Lightroom Classic :
- L’espace colorimétrique ne se règle pas dans le module Développement. Il est fixé à ProPhoto RGB en 16 bits en interne, pour préserver au maximum les couleurs.
- Le choix de l’espace intervient à l’export : il faut choisir sRGB pour le web ou Adobe RGB pour l’impression.
- Lorsqu’on utilise « Modifier dans Photoshop », il faut vérifier les paramètres d’édition externe dans les Préférences > Édition externe :
- Format : TIFF ou PSD
- Espace colorimétrique : à harmoniser avec Photoshop (Adobe RGB ou ProPhoto RGB)
- Profondeur : 16 bits
Dans Photoshop :
- Aller dans Édition > Couleurs…
- Choisir un espace de travail cohérent : sRGB, Adobe RGB ou ProPhoto RGB selon votre flux
- Cocher les options suivantes :
- « Conserver les profils incorporés »
- « Me demander quand les profils ne correspondent pas »
- Cela permet d’éviter les conversions automatiques non désirées
Toujours intégrer le profil ICC lors de l’export
Quand vous exportez une image pour l’impression ou le web :
- Cochez toujours la case « Incorporer le profil ICC » (dans Lightroom, Photoshop ou tout autre logiciel)
- Cela permet au logiciel de lecture (navigateur, lecteur PDF, logiciel d’impression) de comprendre comment interpréter les couleurs
Une image en Adobe RGB sans profil intégré s’affichera mal sur la plupart des écrans : les couleurs sembleront ternes, car elles seront interprétées comme du sRGB par défaut.
Calibrer et profiler son écran
Pour que ce que vous voyez à l’écran corresponde réellement aux données colorimétriques du fichier :
- Utilisez une sonde de calibration (ex : X-Rite, Datacolor Spyder)
- Faites une calibration régulière, surtout si vous travaillez en Adobe RGB ou ProPhoto RGB
- Utilisez un écran à large gamut (99 % Adobe RGB ou supérieur) si vous travaillez dans ces espaces
- Cela vous garantit un affichage fidèle et vous évite des ajustements inutiles
Conclusion : Choisir son espace colorimétrique un étape essentielle
Maîtriser les espaces colorimétriques est un enjeu incontournable pour tout photographe désireux de contrôler la fidélité et la qualité de ses images. Que vous soyez amateur ou professionnel, comprendre la différence entre sRGB, Adobe RGB et ProPhoto RGB vous permet d’adapter votre flux de travail selon la destination finale de vos photos, que ce soit pour le web, l’impression ou la retouche avancée.
La cohérence dans le choix et la gestion des espaces colorimétriques entre vos logiciels, notamment entre Lightroom et Photoshop, est essentielle pour éviter les mauvaises surprises : couleurs délavées, pertes de nuances ou décalages chromatiques. En intégrant systématiquement les profils ICC, en calibrant régulièrement votre écran et en paramétrant correctement vos outils, vous garantissez un rendu fidèle et professionnel.
Enfin, n’oubliez pas que l’espace colorimétrique idéal dépend avant tout de votre usage et de votre équipement. Mieux vaut privilégier la simplicité avec le sRGB pour la plupart des cas, tout en exploitant les gamuts étendus comme Adobe RGB ou ProPhoto RGB pour les projets exigeants et les tirages haut de gamme.
En acquérant ces bonnes pratiques, vous améliorez non seulement la qualité visuelle de vos images, mais vous gagnez également en confiance dans votre travail photographique, en toute maîtrise des couleurs.












